On ne choisit pas ses parents… N’en va-t-il pas de même de son lieu d’origine? Genève je ne t’ai pas choisie, mais je te suis très attaché. La ville est-elle une fille et le canton un garçon? Pour vous deux rassemblés, j’opte pour le féminin. Genève, je t’écris du bord du lac en regardant ta silhouette; des bateaux sont au premier plan et de loin, je vois le Jet d’eau et la cathédrale.
Élégante Genève sois aussi moderne.
Été comme hiver, les traditionnelles mouettes genevoises transportent d’une rive à l’autre des passagers locaux ou des touristes émerveillés. Oui ta rade est belle et quant au milieu de l’été, tu y lances l’un des plus beaux feux d’artifice du monde, tu sais avec élégance souligner tes attraits.
Ta rade ne s’est pas laissée transformer par un pont pour des questions de commodités routières. Fut-il beau. Que le flux des voitures passe où il veut, puisque les Genevois n’ont même pas voulu d’un tunnel.
Cité des parcs avec des arbres exceptionnels, tu restes belle et tu as bien résisté aux pressions des changements; tu as su conserver la richesse de ta vieille ville et mettre en valeur ses sites archéologiques. De même pour les ensembles harmonieux qui l’entoure telles la Corraterie ou l’essentiel du Quai des Bergues. Mais que d’agressions architecturales as-tu subies: on ne peut guère dire que certains architectes et urbanistes prétentieux du 20eme siècle t’aient ménagée en remplaçant parfois du vrai patrimoine architectural par des réalisations communes!
Peux-tu me dire comment sur le plan urbanistique on peut imaginer un ratage aussi spectaculaire que celui de ta place de la Gare Cornavin créatrice d’un chaos urbanistique sans pareille ? N’as-tu pas écouté trop d’avis !
Toujours autour de ta rade, j’ai définitivement au travers de la gorge, pour m’être directement impliqué, l’énorme occasion manquée, dans les années 90, de redonner au Palais Wilson, qui se dégradait désespérément, sa vocation hôtelière d’origine (Hôtel National) et de créer un centre de Congrès moderne et multi fonctionnel lié directement à la ville et au lac sans que cela ne coûte un denier au contribuable ! De par son intérêt évident le peuple l’avait même nettement soutenu à l’occasion d’un référendum. Les propriétaires de l’Hôtel Président que l’on a su décourager, en assumaient totalement la réalisation et la gestion.
Cette erreur ne sera vraisemblablement jamais corrigée. Pour remplacer ce projet on attribua le bâtiment pour recevoir l’administration d’une organisation des Nations Unies qui aurait parfaitement pu s’installer dans le quartier international. Quel gâchis.
Soyons optimistes en constatant qu’un souffle architectural nouveau a donné au quartier de Sécheron et de plusieurs zones industrielles, l’espoir de retrouver des envies de poser notreregard sur des constructions créatives. Aurais-tu, ma chère Genève, redonné un peu de liberté aux constructeurs pour sortir de la morosité.
Genève, replace la personne et la nature au centre de nos réflexions et actions.
Puisque je te parle d’architecture et d’aménagement du territoire, ma chère Genève, j’aimerais te dire avec insistance que tu ne peux regrouper ici la quasi-totalité des organisations internationales traitant des problèmes de climat et d’environnement sans être toi-même exemplaire. Il ne s’agit pas de savoir ce que font les autres, mais de se montrer volontariste. Tu as sur ton territoire de grands projets urbanistiques (PAV, Communaux d’Ambilly, Cherpines et d’autres) devant accueillir des logements et toutes les activités économiques, culturelles sportives et sociales qui les entourent. On ne peut se limiter à densifier. Il faut repenser le déploiement des activités en replaçant la personne et la nature au centre de nos réflexions. Il est temps que tu comprennes que pour l’environnement et le bien-être de chacun le bois doit être plus présent dans des bâtiments que l’on peut de plus végétaliser. Les jeunes générations et tous ceux qui prennent conscience de la dégradation de la qualité de vie s’orientent vers d’autres conceptions des constructions, de la mobilité, de la présence proche d’eux d’espaces naturels pouvant modifier les modes de vie.
Cette évolution ne doit pas être vécue négativement ou sur la défensive. Depuis longtemps tu dis ton intérêt pour l’environnement mais tu traînes les pieds. Il y a une vingtaine d’années je t’ai lancé un défi avec un programme «Dix ans pour sauver nos rivières» et se protéger aussi des catastrophes qu’elles pouvaient provoquées en vivant dans leurs corsets de béton. On me disait que j’allais faire fuir des entreprises de Genève avec ma raisonnable augmentation du prix de l’eau! Heureusement, j’ai surmonté les résistances et mes successeurs, qui n’ont rien lâché, finissent maintenant de la réaliser. Ta santé ne sera que meilleure.
L’évolution sociétale actuelle et ses prises de conscience doivent être saisies comme une opportunité, faire naître de l’enthousiasme et rétablir la confiance en l’avenir. Elle créera de nouveaux emplois et métiers en faisant un bon usage des nouvelles technologies. A nous de nous protéger des travers et dogmatismes qu’elle véhicule aussi.
Une place pour la marginalité
Par définition elle est très minoritaire. Serais-tu un peu figée et trop conventionnelle? Laisses-tu suffisamment de liberté sociale et culturelle à ceux dont le mode de vie est différent de la majorité, mais respectueux des lois et des autres personnes? La question est difficile mais tu dois toujours veiller à ne pas figer les comportements de tous par des normes excessives.
Identité territoriale Tu es ce que tu es grâce à ce qui t’entoure.
Je te le dis sincèrement, chère Genève, mes racines identitaires ne s’arrêtent pas à tes frontières politiques nationales et cantonales, elles sont rattachées à des paysages sans frontières dans un formidable espace naturel avec son contenu environnemental, culturel, social et économique.
Malgré ta notoriété et même en t’étant laissée appeler « Grand Genève », tu es l’une des pièces d’un puzzle régional unique au monde, dominé par le Mont-Blanc, s’étendant du Jura aux Alpes avec le Léman en son centre, couvrant les cantons romands et départements français qui nous entourent Sois fière de toi et d’en faire partie, car c’est l’ensemble de ce territoire qui rayonne largement.
Les premières destinations touristiques et événementielles ne sont-elles pas-celle des Alpes françaises et suisses avec en particulier, Chamonix, le Mont-Blanc et l’Aiguille du Midi avec plus d’une million de passagers! Genève, c’est aussi Lausanne, La Gruyère, Montreux, Divonne, Thonon, Evian, Annecy, Sierre et Sion ou Martigny et la fondation Gianada.
Si tu me permets un petit conseil, mets un zeste de modestie dans tes relations régionales, cela te permettrait de mieux éviter d’être parfois perçue comme arrogante !
Des intérêts partagés et une ouverture sur le monde te font sauter la frontière…
Genève, tu es toujours un peu coincée et à l’étroit au bout du lac pour déployer certaines de tes activités.
Pour nourrir tes habitants tu t’entendis avec ton voisin savoyard qui ne dit oui à son rattachement à la France en 1860, qu’avec une zone de libres échanges avec toi (régime des zones). Tu exportas ainsi ta production notamment horlogère pour en partager la fabrication et les terres agricoles étrangères voisines pourvurent aux besoins alimentaires de tes administrés. Tu fus donc avant-gardiste en matière de libre circulation, mais aussi de circuits courts plus écologiques.
C’est avec cet esprit d’ouverture que le CERN, référence scientifique mondiale pu se construire avec un accélérateur de particules franchissant la frontière à la vitesse de la lumière.
Dans ce contexte transfrontalier tu as bien compris que les travailleurs frontaliers dont tu as besoin dans pratiquement tous les secteurs, dont celui vital de la santé, représentaient des charges dans leurs départements et communes de domiciliation. En mettant en place dès 1973 un versement de compensation, généré par la fiscalité que tu imposes à la source tu agis de manière juste et équitable. Tu es aujourd’hui un exemple européen.
Ton ouverture internationale, tu la dois certainement d’abord au groupe de citoyens créateurs du Comité International de la Croix Rouge sous l’impulsion d’Henri-Dunant en 1863. Depuis 150 ans tu accueilles des organisations internationales. Tu es l’un des premiers pôles de gouvernance mondiale. C’est chez toi que la Confédération vit son engagement majeur en faveur de l’humanité. Tu dois largement ce rayonnement au Président des Etats- Unis Woodrow Wilson, principal promoteur de la Société des Nations en 1919, prônant la négociation collective et son installation en Suisse, pays neutre depuis 1915, et sa localisation à Genève. C’est à la même époque que l’Organisation Internationale du travail te choisit également.
Afin de relever le défi Il te fallait un aéroport pour te relier au monde.
C’est ainsi qu’en 1919, le parlement cantonal adopta la proposition de construction proposée par le Gouvernement. Entre le centre de la ville et le nouvel aéroport, l’un des plus anciens d’Europe, il y avait encore quelques campagnes. Aujourd’hui, il est quasiment en ville avec avantages et inconvénients.
Devant prolonger ta piste pour y accueillir les plus grands avions, tu obtins de la France les échanges de terrains dont tu avais besoin. Curieusement elle ne saisit pas cette opportunité pour en faire un aéroport binational. Il est vrai que c’est plus simple ainsi!
Mais, es-tu raisonnable en imaginant accueillir jusqu’à 25 millions de passagers alors qu’avec 17millions tu provoques déjà de lourds inconvénients? Maire de Genève en 1996, j’eus l’opportunité avec mon collègue de Lyon, Michel Noir, de plaider pour une liaison ferroviaire rapide entre nos 2 aéroports (40 minutes voire moins) le sien, celui de Saint-Exupéry, ne manquant pas d’espace.
Mal m’en pris. On me dit alors que je soutenais la concurrence. Il serait temps de remettre l’ouvrage sur le métier.
Ton attitude fut différente quand la société des Autoroutes du Mont-Blanc compléta ton contournement du canton en le construisant sur le territoire français, te soulageant de ton projet autoroutier qui devait sacrifier tes cultures maraîchères du pied du Salève après avoir traversé tes communes de Thônex à Bardonnex en passant par Veyrier. De plus cette infrastructure, ne te coûta pas un sou et comme actionnaire tu en perçois maintenant encore, les bons dividendes!
Tu as le sens des affaires ma chère Genève.
L’Esprit de Genève?
On le site parfois sans en connaitre l’histoire et le contenu. Porter des idéaux de paix et de réconciliation entre les peuples étaient les objectifs de la Société des Nations. Il se développa grâce à des femmes et des hommes venant des quatre coins de la planète, et sur place on s’identifia à cette démarche dans la foulée des Calvin, Rousseau ou Henry-Dunant.
Certes, nous assistons à d’énormes mutations rapides de notre société véhiculant des espoirs et des inquiétudes. Mais il y a des valeurs immuables liées au respect de la personne et de la nature. Alors ma chère Genève, sois moderne et ouverte tout en préservant ta qualité de vie. Sors un peu de tes « genevoiseries » et veille à ce que ta sensibilité humaniste non seulement ne s’estompe pas mais se requinque et que tes nouveaux habitants la découvre et y adhère.
C’est ça l’Esprit de Genève.
Je t’aime.
Mon attachement à toi Genève et à notre grande Région de ce Diamant Alpin, lieu dans lequel on vit le mieux, est indéfectible. Nous avons encore des choses à faire ensemble. Crois en ma fidélité, mais n’attends pas de moi que je cesse de tenter de faire bouger des lignes qui doivent l’être. Claude Haegi Ancien Président du Conseil d’Etat et ancien Maire de la Ville Président de la Fondation Européenne FEDRE pour le Développement durable des Régions
Claude Haegi