Le Salève autrement

On ne vieillit plus. On sait aujourd’hui gommer les rides du temps, et ainsi, à 80 ans, notre téléphérique est pimpant. Le célébrer, c’est rappeler le sens de son existence et, à certains égards, celui de sa survie.

Pour gravir le Salève autrement que par ses sentiers, et sans efforts, on ne manqua pas d’audace. Dès 1892, un chemin de fer électrique à crémaillère avant-gardiste précéda le téléphérique. En 1932, ce dernier apporta modernité et rapidité pour gagner ce balcon unique du bassin lémanique. Mais il tua le train et faillit mourir aussi.

Sans lui, la route aurait totalement triomphé, au mépris total de l’exceptionnel patrimoine naturel que représente le Salève aux portes de Genève, cet immense parc naturel montagnard, facteur d’équilibre écologique pour la ville et toute une région.

Vous verrez aussi que l’existence actuelle du téléphérique tint à l’obstination que nous avons eue à en défendre le maintien. Sa disparition n’émouvait pas tout le monde. Nous frôlâmes à plusieurs reprises sa fermeture. En rendant politiquement incorrect son abandon, nous pûmes neutraliser les acteurs politiques hostiles ou indifférents qui ne prirent pas le risque d’altérer leur image en s’y opposant. Ainsi, cahin-caha, grâce aux plus convaincus d’entre eux, Genevois et Savoyards mirent leur main au porte-monnaie et assumèrent leurs engagements financiers.

Vous l’avez compris, le téléphérique n’est pas une finalité, mais un moyen. Il s’inscrit dans une approche de mobilité douce. C’est parce que celle-ci s’impose sur un tel site qu’en 2002 la FEDRE (Fondation européenne pour le développement durable des régions) prit l’initiative d’inscrire dans son programme intitulé « Le Salève autrement » la mise en place de navettes gratuites parcourant la crête du Salève, de l’arrivée du téléphérique au hameau de La Croisette.

En parcourant les images marquant l’histoire du Salève, nous aimerions sans nostalgie remonter le temps. Le Salève, ses villages et hameaux furent naguère bien plus vivants. Ses habitants sont maintenant plus nombreux, et pourtant des restaurants, épiceries, boucheries, tabacs ont disparu du paysage. Monnetier-Mornex comptait autrefois des hôtels ; on y a vu une piscine, une patinoire. Une trentaine d’ânes promenaient les visiteurs depuis Monnetier, les Treize-Arbres ou à l’arrivée du téléphérique. Sans route carrossable pour accéder au sommet, point de bousculade ou de moteurs vrombissants. Tout était douceur et beauté. Le Salève, avec ses sportifs marcheurs et grimpeurs, ses scientifiques botanistes, ses aventuriers spéléologues, ses touristes, s’animait dans le calme et en harmonie avec la majesté de l’environnement.

Les 80 ans du téléphérique nous donnent l’occasion d’exprimer des espoirs et une vision porteuse d’audace pour l’avenir du Salève.

L’espoir est de voir cet immense parc naturel au cœur de ce qui est devenu un centre urbain transfrontalier, une agglomération, préservé dans sa dimension environnementale, avec sa flore et sa faune, ses forêts, ses champs sauvages, ses pâturages qui accueillent les troupeaux lors de leur transhumance estivale, et notamment le cheptel genevois.

Notre vision n’en fait pas une zone interdite, mais il s’agit, pour préserver ses précieux biotopes, de la protéger des pressions excessives. Le Salève doit être ouvert et accessible à tous, mais avec précaution. Des constructions sur ses hauteurs le dénatureraient. En principe, les dispositions légales arrêtées le protègent. L’absence d’un réseau d’eau potable freina bien des ardeurs de promotions immobilières.

Après les efforts entrepris qui ont permis aux collectivités publiques concernées d’assurer la pérennité du téléphérique, le moment est venu de donner un nouveau souffle ambitieux visant à développer les diverses potentialités écologiques,

économiques et sociales du Salève. Dès lors que l’importance du patrimoine naturel du Salève a été reconnue, il ne serait pas cohérent de s’abstenir de prendre enfin des mesures limitant la circulation routière. Les exemples allant dans cette direction ne manquent pas. La réalisation, par les spécialistes suisses de l’industrie ferroviaire de montagne, d’un chemin de fer électrique à crémaillère au Puy-de-Dôme, s’inscrivant dans un programme de développement durable, supprimant l’accès routier, protégeant la nature et générant de nouvelles activités économiques peut être un exemple pour le Salève.
Un concept de transports publics attractifs couvrant l’ensemble du Salève et ses accès s’impose. Il doit au minimum maintenir les navettes sur la crête, mais pourrait être complété par une ligne entre Collonges-sous-Salève et La Croisette.

Le projet apportant les changements les plus fondamen- taux consiste donc à concevoir un investissement substantiel pour rétablir le chemin de fer électrique à crémaillère per- mettant, depuis Veyrier, d’atteindre après un très beau par- cours le haut de la montagne en offrant une vue sur le Mont-Blanc et la chaîne des Alpes et les trois lacs, ce que le téléphérique ne permet pas. Au Puy-de-Dôme, on attend 10 millions d’euros de retombées financières annuelles. Cette réalisation, du style des chemins de fer des Alpes tant appré- ciés des touristes, s’inscrirait harmonieusement dans le site, créerait une synergie avec le téléphérique et valoriserait l’en- semble des activités pratiquées au Salève. Désirer « Le Salève autrement », c’est vouloir le rendre vivant en protégeant la nature, pour le plaisir de ceux qui l’aiment.